Biographie de Paul Cézanne

Dates principales de la vie de Paul Cézanne

1838 – Naissance le 19 janvier à Aix de Paul Cézanne
1858 – Il s’inscrit à la faculté d’Aix en droit
1861 – Rencontre avec Pissaro à l’accadémie Suisse du quai des Orfèvres
1869 – Liaison de Paul Cézanne avec Hortense Fiquet
1872 – Naissance de son fils Paul
1872 – Cézanne s’installe à Pontoise puis Auvers-sur-Oise
1880 – L’amitié avec Zola est rompue
1886 – Mariage de Paul Cézanne avec Hortense Fiquet
1898 – Exposition au Salon des indépendants : succès enfin reconnu
1906 – Paul Cézanne décède le 22 octobre

Biographie détaillée de Paul Cézanne (1445 – 1510)

“La biographie de Paul Cézanne est courte. Peu s’en faut qu’elle tienne toute dans le vers célèbre: “Naître, vivre et mourir dans la même maison”.

Notons-le tout de suite, car ce n’est pas le fait le moins singulier d’une destinée au fond si simple et apparemment si contradictoire: ce prétendu révolutionnaire fut en réalité le plus bourgeois et même le plus réactionnaire des hommes. Peut-être s’il m’est permis d’avancer sans inconvenance cette joyeuse hypothèse – y a-t-il là de quoi réconcilier avec les “philistins”que scandalisait sa peinture. Il fut l’un d’eux par bien des points. Il le fut par son attachement étroit aux principes religieux et sociaux, aux préjugés de sa classe, catholique convaincu et citoyen conforme; il le fut même par sa persévérance à solliciter les suffrages du jury des Champs-É1ysées chaque année (m’assure-t-on) lui envoyant quelques tableaux, sans que tant de précédents échecs pussent le décourager, comme par son consentement à laisser demander pour lui la croix d’honneur et à se la faire refuser.

Sa vie, en dehors des agitations que l’art y apporta, fut sans événements.

Il est né à Aix le 19 janvier 1838. Ill est mort dans cette même ville le 22 octobre 1906. Son père était un riche banquier. Au collège d’Aix, où il entra dans sa treizième année, il eut pour condisciple, plus jeune que lui de deux ans, Zola.

Les deux enfants se lièrent d’une amitié que les deux hommes longtemps cultivèrent. On sait ce qui les brouilla: le peintre fit le portrait de l’écrivain et celui-ci ne se trouva pas flatté. Il est plaisant de supposer que Zola se soit cru beau.

De très bonne heure Cézanne montra du goût pour la peinture; mais la musique et la poésie l’attiraient également. Il est parmi les très rares artistes qu’une complète culture ait mis à même de choisir leur activité. Toute sa vie, du reste, il demeura fidèle à ses premières admirations littéraires, et ce peintre si libre, ce novateur, entre tous les poètes préféra toujours les plus sereinement classiques; son livre de chevet était, dit-on, l’œuvre de Virgile, qu’il lisait dans le texte. Quant aux, “mouvements”qui passionnaient les contemporains roman tiques et naturalistes de sa jeunesse et de son âge mûr et les mettaient en demeure d’y prendre parti, on peut, croire qu’il leur resta profondément étranger. En Zola même, il accepte un camarade, un défenseur, sans prêter à l’Évangile de Médan une importance exagérée. Dans les lettres comme dans les arts, le conseil des maîtres anciens lui suffisait; la vie présente se bornait pour lui aux joies que donnaient à ses yeux de peintre les jeux colorés de la lumière. – Comment il parvint à la conscience de ces joies, comment dans leur diversité infinie il choisit sa part: c’est toute l’histoire de Paul Cézanne.

Il est donc assez peu précieux de noter les deux années qu’il perdit à la faculté de droit d’Aix et son court passage dans la banque de son père. Sa vie d’artiste commence en 1862, à l’académie Suisse du quai des Orfèvres, où il rencontre Pissarro et Guillaumin.

Dès ces débuts il manifeste sa prédilection innée pour la vie régulière, pour les sanctions normales, en se présentant au concours d’admission à 1’École des Beaux-Arts et en faisant au Salon officiel un consciencieux envoi. Mais au concours il fut refusé et le jury du Salon l’écarta. Ainsi tout de suite s’affirmait, invincible, fatale, la sincérité de l’artiste. Ce n’était pas pour son plaisir, c’était involontairement qu’il suscitait les indignations, les colères, qu’il se faisait rappeler à l’ordre. – L’ordre! personne n’en eut plus que lui le culte et le scrupule et ce fut l’originalité, mais aussi la tristesse de sa vie de ne pouvoir obtenir, homme par excellence rangé, l’approbation d’esprits qui partageaient en tout ses convictions, – sauf en art. Et à coup sûr c’est lui qui représentait contre eux – en art – l’ordre vrai, le seul; mais peut-être ne le représentait-il pas avec eux hors de l’art, hors de cet art où il vérifiait aux clartés de sa révélation intime leur mensonge sans que cette évidence avertit un esprit singulièrement exclusif et au regard duquel les choses de l’art semblent avoir constitué comme un monde à part, isolé, “séparé”, gouverné par des lois d’exception.

Rejeté par l’officiel et révolutionnaire malgré lui, Cézanne ne tarda pas à faire nombre avec d’autres révoltés, les Impressionnistes, qui guerroyaient, eux, sans regret contre l’École. Il fut de leur première exposition – en 1874, chez Nadar, au boulevard des Capucines – avec Renoir et Claude Monet, avec Pissarro et Guillaumin.

Mais cette date et cette manifestation n’avaient point pour lui la même importance que pour ses compagnons de bataille. Elles marquaient simplement dans l’évolution de son talent une période, la quatrième, à bien compter, et qui ne devait pas être définitive.

Il avait commencé par écouter les maîtres du Louvre et Delacroix. – C’était l’époque, assez brève, des compositions romantiques, telles que l’Enlèvement, où le jeune artiste montre des qualités de studieuse impersonnalité qu’il dépouillera dès qu’il aura fait la connaissance de Courbet.

Il conserva toujours pour Delacroix une estime raisonnée, profonde, et ne cessa de le mettre, si je ne me trompe, plus haut que Courbet dans ses admirations. Mais il y avait plus d’harmonie réelle entre ses propres instincts et la vision réaliste de Courbet et, sous l’influence de celui-ci, Cézanne acquit un développement plus fécond et plus décisif qu’il n’avait fait à l’école de Delacroix. Et ce fut la seconde période distincte.

– La troisième est illustrée par le nom de Manet et par l’avènement de la couleur claire sur la palette du peintre en perpétuelle recherche, tour à tour romantique et réaliste, mais séduit depuis déjà cinq années aux nouveautés les plus hardies par la parole et l’exemple de Pissarro. – Il pouvait dont, il y était logiquement appelé, voisiner sept ans plus tard avec Monet et Renoir, sans, bien entendu, se confondre avec eux, mais sans que sa présence entre eux rompît l’harmonie. On remarquera, en effet, que ces stations successives, bien loin d’être caractérisées par de nets contrastes on même par des oppositions, sont comme des “temps” du même mouvement.

M. Théodore Duret a bien raison de le dire, les influences subies par Cézanne ne marquent pas chez lui des “manières différentes et absolument tranchées”. Même l’arrêt devant Delacroix n’a rien qui puisse nous déconcerter si, constatant la parenté de Cézanne avec les Impressionnistes, nous nous souvenons que les Impressionnistes réclament en Delacroix l’un de leurs premiers initiateurs. Ainsi, point de tergiversations stériles et nulle erreur de direction: avec Cézanne, “il s’agit d’un homme très ferme et qui s’est tout de suite engagé dans une voie certaine “, après avoir cherché, où il était le plus sûr de les trouver, les enseignements les plus précieux.

Dès avant 1874, du reste, en 1872 un événement s’était produit dans sa carrière d’artiste une révolution dans sa méthode qui devait le définitivement orienter au but que dès lors il ne cessa de poursuivre avec la plus héroïque ténacité.

C’est d’alors qu’il faudrait dater chez lui une nouvelle “manière”, si ce mot doit tout de même avoir son emploi dans l’histoire de l’évolution le plus harmoniquement et le plus rationnellement une, c’est de cette heure où Cézanne se décida, Pissarro l’y invitant, à peindre sur nature. Si l’on ne peut affirmer que tout de suite alors il se réalisa dans toute la liberté de sa vision, dans toute la logique de sa conception, dans toute la plénitude de ses dons, il est bien certain que dès alors du moins il acheva de faire sa propre découverte et s’achemina, en se dégageant chaque jour plus audacieusement des règles et de tout enseignement systématique pour n’être plus que lui-même, vers l’épanouissement définitif.

Il y fallut trois années de travail sans trêve, celles qui séparent la première de la seconde exposition des impressionnistes, 1874 de 1877, la Maison du pendu du Portrait de M. Chocquet. Non pas que ce portrait, non plus qu’aucun autre des quinze tableaux – huiles et aquarelles – exposés avec lui, fût au regard même de leur auteur une œuvre parfaite. Mais, la définition de nature suggérée par cet ensemble ne correspondait à rien, nulle part, qu’on pût citer d’analogue. La puissance du coloris, la vibration des formes sans précis contours et pourtant déterminées avec une si intense netteté par les rapports des couleurs et les relations des plans, la réalité de l’œuvre en tant que chose peinte pour le plaisir des yeux et sans visées étrangères à la délectation plastique, l’évidence enfin de l’invention d’art, tout cela, qui eût dû imposer au public le respect et la sympathie, le fit rugir d’horreur. Cézanne sentit l’inutilité de la lutte et se retira. On vit encore, en 1882, un portrait d’homme, signé de lui, au Salon. Il fut représenté à la Rétrospective de 1889 et à la Centenale de 1900. En 1893, deux toiles de Cézanne étaient entrées au musée du Luxembourg avec le legs de Gustave Caillebotte. Mais les jurys continuaient à mépriser l’admirable inventeur, tandis que soudain la jeunesse allait à lui dans un mouvement de piété dont il faut aimer comme une rédemption l’hyperbolique outrance. C’est alors qu’un marchand avisé sentit le moment venu de montrer du courage: une première exposition importante de toiles de Cézanne eut lieu, rue Laffitte, en 1895.

En. 1901, Maurice Denis exposa un Hommage à Cézanne, qui réunissait autour d’une œuvre du maître MM. Odilon Redon, Bonnard, Roussel, Serusier, Vuillard, Mellerio, Vollard et l’auteur. – Tout entier, le Salon des Indépendants fut, il y a trois ans, un Hommage, lui aussi, à Cézanne, que le Salon d’Automne avait, dès sa fondation, respectueusement appelé.

L’artiste vieillissant ne se laissait pas éblouir par cette tardive aurore de sa renommée. Quelles joies, du reste, pouvaient valoir pour lui celle que lui donnait l’étude de la nature? Et il continuait à chercher, “étudiant éternel”, dans l’espérance de faire enfin un tableau. Depuis des années retiré à Aix, riche, inconnu de ses proches, célèbre au loin, célébré et discuté, il travaillait dès les premières heures du jour, levé à cinq ou six heures selon la saison, et s’acharnant jusqu’au soir à “l’étude sur nature “.

Un des citadins de sa ville nous le dépeint ainsi: très grand, des yeux lumineux, un regard d’une acuité troublante, timide, l’allure chavirante. Les gens de son quartier, qui le voyaient passer de très bon matin, avec son vieux manteau couleur de terre, son feutre cabossé, sa cravate dénouée, citaient, quand on les interrogeait sur lui, le nom de son père, le banquier. Il vivait seul. Sa femme et son fils voyageaient. Il accueillait volontiers les jeunes gens: “Je ne peux plus maintenant, disait-il vers la fin, qu’essayer de faire comprendre aux jeunes ma méthode.” Et toujours il parlait avec une passion extrême, s’emportant en termes violents, lui à l’ordinaire si doux, contre ceux qu’il appelait “les Universitaires”. Mais parfois il laissait échapper cette plainte: “Il me vient des doutes sur mon œuvre.” Et puis, son regard clair se rallumait et il communiquait soudain, par un démenti tacite d’une irréfutable éloquence, la confiance absolue qui débordait de son cœur.

Le samedi 20 octobre 1906, il quitta de fort bonne heure, comme de coutume, son appartement de la rue Boulégon pour se rendre à ce qu’il appelait “l’atelier”, une maison de campagne à mi-flanc d’une colline, au nord, vers Puyricard; on domine de là la ville d’Aix et la vallée de l’Arc où flottent en toutes saisons des brumes cotonneuses. En plein air, sur le seuil de la porte, il s’installe avec le modèle, un vieux marin, et se met au travail. Les heures passent, et, tout à coup, vers onze heures, l’artiste tombe, terrassé par une congestion pulmonaire. On le ramène en ville; sa sœur accourt. Il a des alternatives de délire et de lucidité qui ne laissent pas d’espérance. Il meurt le lundi dans la matinée, doucement.”

CHARLES MORICE, “Paul Cézanne”, Paris, Mercure de France, 1907, t. 232, p. 580 et suiv.

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