Biographie de Rembrandt

Dates principales de la vie de Rembrandt

1606 – Naissance de Rembrandt van Rijn à Leyde le 15 juillet
1625 – Il travaille chez le peintre Pieter Lastman
1631 – Rembrandt s’établit à Amsterdam
1634 – Mariage avec Saskia van Uylenburgh
1641 – Naissance de Titus, le fils de Rembrandt, baptisé le 22 septembre 1642
1642 – A l’âge de 30 ans Saskia meurt de phtisie
1649 – Rembrandt vit avec Hendrickje Stoffels qui lui donne une fille, Cornelia, en 1654
1656 – Il est mis en faillite à cause de ses dettes
1657 – Hendrickje Stoffels et Titus le mettent sous tutelle
1662 – Mort de Hendrickje Stoffels
1669 – Rembrandt s’éteint à Amsterdam le 8 octobre

Biographie détaillée de Rembrandt (1606 – 1669)

“La vie de Rembrandt est, comme sa peinture, pleine de demi-teintes et de coins sombres. Autant Rubens se montre tel qu’il était au plein jour de ses oeuvres, de sa vie publique, de sa vie privée, net, lumineux et tout chatoyant d’esprit, de bonne humeur, de grâce hautaine et de grandeur, autant Rembrandt se dérobe et semble toujours cacher quelque chose, soit qu’il ait peint, soit qu’il ait vécu. Point de palais avec l’état de maison d’un grand seigneur, point de train et de galeries à l’italienne. Une installation médiocre, la maison noirâtre d’un petit marchand, le pêle-mêle intérieur d’un collectionneur, d’un bouquiniste, d’un amateur d’estampes et de raretés. […]

Pendant fort longtemps on n’a rien su de lui que d’après le témoignage de Sandrart ou de ses élèves, ceux du moins qui ont écrit, Hoogstraeten, Houbraken, et tout se réduisit à quelques légendes d’ateliers, à des renseignements contestables, à des jugements trop légers, à des commérages. Ce qu’on apercevait de sa personne, c’étaient des bizarreries, des manies, quelques trivialités, des défauts, presque des vices. On le disait intéressé, cupide, même avare, quelque peu trafiquant, et d’autre part on le disait dissipateur et désordonné dans ses dépenses, témoin sa ruine. Il avait beaucoup d’élèves, les mettait en cellule dans des chambres à compartiments, veillait à ce qu’il n’y eût entre eux ni contact, ni influences, et tirait de cet enseignement méticuleux de gros revenus. On cite quelques fragments de leçons orales recueillis par la tradition qui sont des vérités de simple bon sens, mais ne tirent point à conséquence. Il n’avait pas vu l’Italie, ne recommandait pas ce voyage, et ce fut là, pour ses disciples devenus des docteurs en esthétique, un grief et l’occasion de regretter que leur maître n’eût pas ajouté cette culture nécessaire à ses saines doctrines et à son original talent. On lui savait des goûts singuliers, l’amour des vieilles défroques, des friperies orientales, des casques, des épées, des tapis d’Asie. Son mobilier d’artiste […] sentait le capharnaüm, le laboratoire, un peu la science occulte et la cabale, et cette baroquerie, jointe à la passion qu’on lui supposait pour l’argent, donnait à la figure méditative et rechignée de ce travailleur acharné je ne sais quel air compromettant de chercheur d’or.

Il avait la rage de poser devant un miroir et de se peindre, non pas, comme Rubens le faisait dans des tableaux héroïques, sous de chevaleresques dehors, en homme de guerre et pêle-mêle avec des figures d’épopée, mais tout seul, en un petit cadre, les yeux dans les yeux, pour lui-même et pour le seul prix d’une lumière frisante ou d’une demi-teinte plus rare, jouant sur les plans arrondis de sa grosse figure à pulpe injectée. Il se retroussait la moustache, mettait de l’air et du jeu dans sa chevelure frisottante; il souriait d’une lèvre forte et sanguine, et son petit œil noyé sous d’épaisses saillies frontales dardait un regard singulier, où il y avait de l’ardeur, de la fixité, de l’insolence et du contentement. Ce n’était pas l’œil de tout le monde. Le masque avait des plans solides; la bouche était expressive, le menton volontaire. Entre les deux sourcils, le travail avait tracé deux sillons verticaux, des rendements, et ce pli contracté par l’habitude de froncer propre aux cerveaux qui se concentrent, réfractent les sensations reçues et font effort du dehors au dedans. Il se parait d’ailleurs et se travestissait à la façon des gens de théâtre. Il empruntait à son vestiaire de quoi se vêtir, se coiffer ou s’orner, se mettait des turbans, des toques de velours, des feutres, des pourpoints, des manteaux, quelquefois une cuirasse; il agrafait une joaillerie à sa coiffure, attachait à son cou des chaînes d’or avec pierreries. Et pour peu qu’on ne fût pas dans le secret de ses recherches, on arrivait à se demander si toutes ces complaisances du peintre pour le modèle n’étaient pas des faiblesses de l’homme auxquelles l’artiste se prêtait. Plus tard, après ses années mûres, dans les jours difficiles, on le vit paraître en des tenues plus graves, plus modestes, plus véridiques: sans or, sans velours, en vestes sombres, avec un mouchoir en serre-tête, le visage attristé, ridé, macéré, la palette entre ses rudes mains. Cette tenue de désabusé fut une forme nouvelle que prit l’homme quand il eut passé cinquante ans, mais elle ne fit que compliquer davantage l’idée vraie qu’on aimerait à se former de lui.

Tout cela en somme ne faisait pas un ensemble très concordant, ne se tenait pas, cadrait mal avec le sens de ses oeuvres, la haute portée de ses conceptions, le sérieux profond de ses visées habituelles. Les saillies de ce caractère mal défini, les points révélés de ses habitudes presque inédites, se détachaient avec quelque aigreur sur le fond d’une existence terne, neutre, enfumée d’incertitudes et biographiquement assez confuse.

Depuis lors, la lumière s’est répandue à peu près sur toutes les parties demeurées douteuses de ce tableau ténébreux. L’histoire de Rembrandt a été faite et fort bien en Hollande, et même en France, d’après les écrivains hollandais. Grâce aux travaux d’un de ses adorateurs les plus fervents, M. Vosmaert, nous savons maintenant de Rembrandt sinon tout ce qu’il importe de savoir, du moins tout ce que probablement on saura jamais, et cela suffit pour le faire aimer, plaindre, estimer et, je crois, bien comprendre.

À le considérer par l’extérieur, c’était un brave homme, aimant le chez-soi, la vie de ménage, le coin du feu, un homme de famille, une nature d’époux plus que ale libertin, un monogame qui ne put jamais supporter ni le célibat ni le veuvage, et que des circonstances mal expliquées entraînèrent à se marier trois fois; un casanier, cela va de soi; peu économe, car il ne su pas aligner ses comptes; pas avare, car il se ruina, et, s’il dépensa peu d’argent pour son bien-être, il le prodigua, parait-il, pour les curiosités de son esprit; difficile à vivre, peut-être ombrageux, solitaire, en tout et dans sa sphère modeste un être singulier. Il n’eut pas de faste, mais il eut une sorte d’opulence cachée, des trésors enfouis en valeurs d’art, qui lui causèrent bien des joies, qu’il perdit dans un total désastre et qui sous ses yeux, devant une porte d’auberge, en un jour vraiment sinistre, se vendirent à vil prix. Tout n’était pas bric-à-brac, on l’a bien vu d’après l’inventaire dressé lors de la vente, dans ce mobilier, dont la postérité s’occupa longtemps sans le connaître. Il y avait là des marbres, des tableaux italiens, des tableaux hollandais, en grand nombre des oeuvres de lui, surtout des gravures, et des plus rares, qu’il échangeait contre les siennes ou payait fort cher. Il tenait à toutes ces choses, belles, curieusement recueillies et de choix, comme à des compagnons de solitude, à des témoins de son travail, aux confidents de sa pensée, aux inspirateurs de son esprit. Peut-être thésaurisait-il comme un dilettante, comme un érudit, comme un délicat en fait de jouissances intellectuelles, et telle est probablement la forme inusitée d’une avarice dont on ne comprenait pas le sens intime. Quant à ses dettes, qui l’écrasèrent, il en avait déjà ‘à l’époque où, dans une correspondance qui nous a été conservée, il se disait riche. Il était assez fier, et il souscrivait des lettres de change avec le sans-façon d’un homme qui ne connaît pas le prix de l’argent et ne compte pas assez exactement ni celui qu’il possède ni celui qu’il doit.

Rembrandt – Saskia II eut une femme charmante, Saskia, qui fut comme un rayon dans ce perpétuel clair-obscur et pendant des années trop courtes, à défaut d’élégance et de charmes bien réels, y mit quelque chose comme un éclat plus vif. Ce qui manque à cet intérieur morne, comme à ce labeur morose tout en profondeur, c’est l’expansion, un peu de jeunesse amoureuse, de grâce féminine et de tendresse. Saskia lui apportait-elle tout cela ? On ne le voit pas distinctement. Il en fut épris, dit-on, la peignit souvent, l’affubla, comme il avait fait pour lui-même, de déguisements bizarres ou magnifiques, la couvrit ainsi que lui-même de je ne sais quel luxe d’occasion, la représenta en Juive, en Odalisque, en Judith, peut-être en Suzanne et en Bethsabée, ne la peignit jamais comme elle était vraiment, et ne laissa pas d’elle un portrait habillé ou non qui fût fidèle, — on aime à le croire. Voila tout ce que nous connaissons de ses joies domestiques trop vite éteintes. Saskia mourut jeune, en 1642, l’année même où il produisait la Ronde de nuit. De ses enfants, car il en eut plusieurs de ses trois mariages, on ne rencontre pas une seule fois l’aimable et riante figure dans ses tableaux. Son fils Titus mourut quelques mois avant lui. Les autres disparaissent dans l’obscurité qui couvrit ses dernières années et suivit sa mort. […]

Eut-il beaucoup d’amis? On ne le croit pas; à coup sûr il n’eut pas tous ceux qu’il méritait d’avoir: ni Vondel, qui lui-même était un familier de la maison Six; ni Rubens, qu’il connaissait bien, qui vint en Hollande en 1636, y visita tous les peintres célèbres, lui excepté, et mourut l’année qui précéda la Ronde de nuit, sans que le nom de Rembrandt figure on dans ses lettres ou dans ses collections. Était-il fêté, très entouré, très en vue? Non plus. Quand il est question de lui dans les Apologies, dans les écrits, dans les petites poésies fugitives et de circonstances du temps, c’est en sous-ordre, un: peu par esprit de justice, par hasard, sans grande chaleur. Les littérateurs avaient d’autres préférences, après lesquelles venait Rembrandt, lui le seul illustre. Dans les cérémonies officielles, aux grands jours des pompes de tout genre, on l’oubliait, ou, pour ainsi parler, on ne le voit nulle part, au premier rang, sur les estrades.

[…] En tout, comme on le voit, c’était un homme à part, un rêveur, peut-être un taciturne, quoique sa figure dise le contraire; peut-être un caractère anguleux et un peu rude, tendu, tranchant, peu commode à contredire, encore moins à convaincre, ondoyant au fond, roide en ses formes, à coup sûr un original. S’il fut célèbre et choyé et vanté d’abord, en dépit des jaloux, des gens à courte vue, des pédants et des imbéciles, on se vengea bien quand il ne fut plus là.

Dans sa pratique, il ne peignait, ne crayonnait, ne gravait comme personne. Ses oeuvres étaient même, en leurs procédés, des énigmes. On admirait non sans quelque inquiétude; on le suivait sans trop le comprendre. C’était surtout à son travail qu’il avait des airs d’alchimiste. À le voir à son chevalet, avec une palette certainement engluée, d’où sortaient tant de matières lourdes, d’où se dégageaient tant d’essences subtiles, ou penché sur ses planches de cuivre et burinant contre toutes les règles, — on cherchait, au bout de son burin et de sa brosse, des secrets qui venaient de plus loin. Sa manière était si nouvelle, qu’elle déroutait les esprits forts, passionnait les esprits simples. Tout ce qu’il y avait de jeune, d’entreprenant, d’insubordonné et d’étourdi parmi les écoliers peintres courait à lui. Ses disciples directs furent médiocres; la queue fut détestable. Chose frappante après l’enseignement cellulaire que je vous ai dit, pas un ne sauva tout à fait son indépendance. Ils l’imitèrent comme jamais maître ne fut imité par des copistes serviles, et bien entendu ne prirent de lui que le pire de ses procédés.

[…] Il est difficile de l’isoler du mouvement intellectuel et moral de son pays et de son temps, qu’il a respiré dans le dix-septième siècle hollandais l’air natal dont il a vécu. Venu plus tôt, il serait inexplicable; né partout ailleurs, il jouerait plus étrangement encore ce rôle de comète qu’on lui attribue hors des axes de l’art moderne; venu plus tard, il n’aurait plus cet immense mérite de clore un passé et d’ouvrir une des grandes portes de l’avenir. Sous tous les rapports, il a trompé bien des gens. Comme homme, il manquait de dehors, d’où l’on a conclu qu’il était grossier. Comme homme d’études, il a dérangé plus d’un système, d’où l’on a conclu qu’il manquait d’études. Comme homme de goût, il a péché contre toutes les lois communes, d’où l’on a conclu qu’il manquait de goût. Comme artiste épris du beau, il a donné des choses de la terre quelques idées fort laides. On n’a pas remarqué qu’il regardait ailleurs. Bref, si fort qu’on le vantât, si méchamment qu’on l’ait dénigré, si injustement qu’on l’ait pris, en bien comme en mal, à l’inverse de sa nature, personne ne soupçonnait exactement sa vraie grandeur.

Remarquez qu’il est le moins hollandais des peintres hollandais, et que, s’il est de son temps, il n’en est jamais tout à fait. Ce que ses compatriotes ont observé, il ne le voit pas; ce dont ils s’écartent, c’est là qu’il revient. On a dit adieu à la fable, et il y retourne; à la Bible: il l’illustre; aux Évangiles: il s’y comptait. Il les habille à sa mode personnelle, mais il en dégage un sens unique, nouveau, universellement compréhensible. Il rêve de Saint Siméon, de Jacob et de Laban, de l’Enfant prodigue, de Tobie, des Apôtres, de la Sainte Famille, du Roi David, du Calvaire, du Samaritain, de Lazare, des Évangélistes. Il tourne autour de Jérusalem, d’Emmaüs, toujours, on le sent, tenté par la synagogue. Ces thèmes consacrés, il les voit apparaître en des milieux sans noms, sous des costumes sans bon sens. Il les conçoit, il les formule avec aussi peu de souci des traditions que peu d’égards pour la vérité locale. Et telle est cependant sa force créatrice que cet esprit si particulier, si personnel, donne aux sujets qu’il traite une expression générale, un sens intime et typique que les grands penseurs on dessinateurs épiques n’atteignent pas toujours.

[…] En procédant comme il procédait lui-même, en extrayant de cet oeuvre si vaste et de ce multiple génie ce qui le représente en son principe, en le réduisant à ses éléments natifs, en éliminant sa palette, ses pinceaux, ses huiles colorantes, ses glacis, ses empâtements, tout le mécanisme du peintre, on arriverait enfin à saisir l’essence première de l’artiste dans le graveur. Rembrandt est tout entier dans ses eaux-fortes. Esprit, tendances, imaginations, rêveries, bon sens, chimères, difficultés de rendre l’impossible, réalités dans le rien, vingt eaux-fortes de lui le révèlent, font pressentir tout le peintre, et, mieux encore, l’expliquent: Même métier, même parti pris, même négligé, même insistance, même étrangeté dans le faire, même désespérante et soudaine réussite par l’expression. À les bien confronter, je ne vois nulle différence entre le Tobie du Louvre et telle planche gravée. Il n’est personne qui ne mette le graveur au-dessus de tous les graveurs. Sans aller aussi loin quand il s’agit de sa peinture, il serait bon de penser plus souvent à la Pièce aux cent florins lorsqu’on hésite à le comprendre en ses tableaux. On verrait que toutes les scories de cet art, un des plus difficiles à épurer qu’il y ait au monde, n’altèrent en rien la gamme incomparablement belle qui brûle au dedans, et je crois qu’on changerait enfin tous les noms qu’on a donnés à Rembrandt pour lui donner les noms contraires.

Au vrai, c’était un cerveau servi par un oeil de noctiluque, par une main habile sans grande adresse. Ce travail pénible venait d’un esprit agile et délié. Cet homme de rien, ce fureteur, ce costumier, cet érudit nourri de disparates, cet homme des bas-fonds, de vol si haut; cette nature de phalène qui va à ce qui brille, cette âme si sensible à certaines formes de la vie, si indifférente aux autres; cette ardeur sans tendresse, cet amoureux sans flamme visible, cette nature de contrastes, de contradictions et d’équivoques, émue et peu éloquente, aimante et peu aimable; ce disgracié si bien doué, ce prétendu homme de matière, ce trivial, ce laid, c’était un pur spiritualiste, disons-le d’un seul mot: un idéologue, je veux dire un esprit dont le domaine est celui des idées et la langue celle des idées. La clef du mystère est là.

À le prendre ainsi, tout Rembrandt s’explique: sa vie, son oeuvre, ses penchants, ses conceptions, sa poétique, sa méthode, ses procédés, et jusqu’à la patine de sa peinture, qui n’est qu’une spiritualisation audacieuse et cherchée des éléments matériels de son métier.”

EUGÈNE FROMENTIN, Les maîtres d’autrefois: Belgique, Hollande, Paris, Plon, 14e éd. 1904, chap. XVI.

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